Centre Placet ASBL - Rue des Sports 2, 1348 Louvain-la-Neuve (Belgique)

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Article - Pratiques interculturelles et pensée métisse
Octobre 2023 | Christian Chiza


Allocution à l’occasion des 50 ans du Centre Placet lors des États généraux de l’UCLouvain.


Mesdames, messieurs,

C’est en ma double qualité de chercheur universitaire et de président de l’ARP que je vais m’exprimer ici.

En effet, si nous sommes présents en ces lieux aujourd’hui c’est à la fois pour participer à l’initiative potentiellement transformatrice que constituent les états généraux, mais aussi, pour célébrer les 50 ans d’existence du Centre Placet.

Il n’est d’ailleurs pas anodin que ces deux événements soient concomitants.

En réalité, la naissance et l’expansion du Centre Placet ainsi que la tenue des états généraux procèdent des mêmes intentions vertueuses ; trouver les moyens de faire de la place à ce qui parait être « différent », à ce qui parait sortir de l’ordinaire au sein de l’institution universitaire.

Si le destin des conclusions auxquelles mèneront les rencontres qui ont lieu ces derniers jours est encore incertain, on peut d’ores et déjà se féliciter sans réserve des réussites engrangées par le Centre Placet.

Il a su être ce lieu d’épanouissement et de rencontres privilégiées, attendu à la fois par les expatriés qu’il a hébergés mais aussi par la population locale de Louvain-la-Neuve.

Une population longtemps curieuse et avide de mieux connaître des personnes en apparence différentes d’elle.

Néanmoins, force est de constater que la notion de ce qui est différent et la manière de l’appréhender a évolué avec le temps.

En effet, les différences apparentes qui marquaient autrefois un certain exotisme sont devenues bien plus ordinaires dans le paysage urbain néo-louvaniste.

Paradoxalement il semble que cela a réduit la curiosité à l’égard des étudiants et des chercheurs venus des Suds.

Si le Placet reste un lieu où ces derniers peuvent être entendus et soutenus dans leurs préoccupations quotidiennes, et s’il est vrai qu’on y trouve désormais un personnel de plus en plus qualifié, bien intentionné et nombreux, on doit bien admettre que l’on y glisse de plus en plus vers un certain entre-soi…

Beaucoup de facteurs pourraient expliquer cet état de fait ;

Est-ce effectivement la banalisation de la diversité qui réduit l’attractivité du centre pour ses voisins proches ou lointains ?

Est-ce que c’est un effet non désiré d’une certaine intellectualisation de la démarche de l’ASBL ?

Une ASBL qui se positionne désormais à la pointe des luttes intersectionnelles et décoloniales.

Est-ce la conséquence d’une certaine appréhension, d’une peur de froisser par une question naïve ou un commentaire indélicat la sensibilité des étudiants des Suds ?

J’ai en effet l’impression qu’on les présente de plus en plus souvent comme des êtres susceptibles et fragiles.

Je voudrais proposer ici quelques tentatives de réponses succinctes à ces questions qui, pour certaines, pourront peut-être orienter les réflexions qui seront menées plus tard au cours des ateliers.

En premier lieu, demandons-nous ce qu’est la diversité.

Ou plutôt ce qui semble être entendu aujourd’hui en Belgique derrière ce terme.

D’après ce que j’en comprends, c’est un concept dans lequel on a mis en rang toutes les minorités, considérées chacune comme un petit groupe communautaire aux idées et aux intérêts convergents…

Venir à la rencontre de la diversité ce serait donc venir à la rencontre de quelque chose plutôt que de quelqu’un…

Peut-être est-ce le fait qu’elle tend à être stéréotypée plutôt que le fait qu’elle soit devenue banale qui rend la diversité moins attirante …

Dans ce cadre, le fait d’être noir ferait donc de moi un être certes « divers », mais dont les caractères propres seraient quasi identiques à ceux de tous les autres noirs…

Des caractéristiques avant tout déterminées par la sujétion à l’oppression, qui serait devenue l’Alpha et l’Omega de nos identités.

En second lieu, on peut sûrement se demander pourquoi les questions liées à la diversité se sont politisées ?

A cet égard, il semblerait que la société belge, pour des raisons qui lui sont propres, ait décidé de s’interroger sur un passé colonial dont elle ignore presque tout, malgré le fait qu’il soit largement documenté.

En faisant du Placet un des lieux privilégiés, si pas le lieu privilégié de ces interrogations au sein de l’Université, ne renvoie-t-on pas bien involontairement la colonialité aux étudiants des Suds comme une charge qu’il leur revient d’assumer seuls et en priorité…

Ne mutualise-t-on pas insidieusement ces préoccupations sous l’angle des origines ou pire, de la race ? Ne gomme-t-on pas ainsi un peu plus une singularité qui seule permet une vraie rencontre ?

Comme tous les citoyens belges, chaque étudiant ou chercheur des Sud a pourtant sa propre sensibilité par rapport à ces questions.

Une sensibilité qui peut aller de la militance active à la plus franche indifférence…Parce que oui, un certain nombre de mes compatriotes ne se préoccupent que très peu de l’Histoire Coloniale et encore moins de l’Histoire tout court…

3Par ailleurs si au-delà de sa vocation décoloniale, le Placet tend à devenir un lieu plus « scientifique » dans son approche de la « diversité », on peut légitimement se demander où sont les académiques dans cette démarche…

Chers collègues, il faut bien admettre que vous êtes fort peu nombreux à grimper la colline de l’Hocaille pour venir échanger avec les résidents lors des événements organisés par l’ASBL…

En troisième lieu, je souhaiterais que nous nous interrogions sur cette fragilité et cette susceptibilité que l’on attribue à une partie de ceux que l’on classe dans la catégorie de la « diversité ».

Une assignation dont le paroxysme consiste à qualifier toute personne non-blanche de « racisée » …

Renseignement pris, il semblerait que ce terme soit issu de grilles d’analyses sociologiques dont la fonction était de permettre une analyse « théorique » des rapports de force liés à l’expression du « racisme ».

Un isolat scientifique donc, dans lequel, pour les besoins de l’analyse, l’individu est réduit à sa « race » dans son rapport aux autres, aux institutions ou à la société.

Il semble que ce concept se soit malheureusement échappé des laboratoires avec pour ambition de s’imposer dans le réel comme un qualificatif définitif et absolu.

A mes yeux, ce mot est un vecteur abusif d’essentialisation.

Pire, il est un mot « prison »…

Car en effet, une personne noire comme moi peut avoir été confrontée dans ce pays à une ou plusieurs expériences de « racisation », c’est-à-dire des épisodes de vie au cours desquels elle a été réduite à sa couleur de peau.

Pour autant, elle n’a pas à voir réduire - en l’absence d’un consentement explicite de sa part - la totalité de son rapport à la société belge à un rapport de soumission violente.

Il est une évidence que le racisme existe en Belgique, mais, dans un état de droit, qui condamne moralement et légalement de tels comportements, selon moi, ce rapport ne peut jamais être ni absolu ni définitif.

Il est fonction du pouvoir et des moyens dont dispose l’individu ou l’institution qui tend à me l’imposer et des moyens dont je dispose pour y résister.

Dès le moment où j’y résiste, et si on admet avec un peu d’honnêteté que tous les citoyens de ce pays autant que toutes ses institutions ne sont pas intrinsèquement racistes, ce rapport de force est ici, toujours limité dans l’espace et le temps…

J’ai vécu avec mon promoteur et mes collègues belges des moments d’échange merveilleusement sincères et fraternels, et j’ai pu compter sur le soutien de certains d’entre eux, bien au-delà de ce que j’étais en droit d’attendre…

Comment pourrais-je me sentir « racisé » au cœur de ces relations ?

Chers collègues, chers amis, chers étudiants, qualifier quelqu’un de « racisé », c’est faire d’un état de faiblesse contingent un état permanent.

C’est limiter l’autre à un petit bout de chair opprimé et démuni qu’il faut protéger.

C’est lui interdire le choix de refuser de se voir circonscrire à ce qu’il a pu vivre de plus dégradant.

Je refuse d’être « le racisé », parce que je ne veux pas que l’apport que je peux faire à cette société qui m’accueille soit limité à la lutte contre le racisme.

Je ne veux pas être confiné dans une communauté qui n’aurait en commun que les vexations qu’elle subirait en conséquence de la bêtise d’un individu, ou de la brutalité d’une politique institutionnelle discriminante.

Je refuse d’être appelé « racisé », non pas parce que je nie l’existence du racisme mais parce que je refuse que ce soit son existence qui me détermine.

Pour conclure je voudrais encore vous dire ceci ;

La diversité n’est pas l’affaire de quelques groupes définis par leurs pratiques et leurs apparences.

La diversité, c’est la reconnaissance de la singularité de chacun et la possibilité que l’on donne à celle-ci de s’exprimer.

Dès lors, on ne pourra réussir l’inclusion de tous que si on reconnait à chacun le privilège d’être avant tout un individu.

Un individu qui ne voit pas le monde à travers de ce qu’il en a subi mais bien au travers de ce qu’il peut lui apporter.

Quant à l’équité, ou autrement dit au sentiment de justice que l’on peut ressentir, il ne pourra advenir que dans un rapport de confiance et c’est peut-être là le plus essentiel.

La confiance.

La confiance ne se construit pas par des réglementations, des principes et des déclarations mais par l’établissement d’une relation.

Cela étant dit, il devient évident qu’il faut que nous nous rencontrions mieux et plus souvent.

Non pas en tant que groupes, non pas en tant que dominants ou dominés, non pas en tant que blancs et noirs, non pas en tant que femmes ou hommes mais en tant que frères et sœurs en humanité !

C’est à ce moment seulement, quand nous serons au cœur d’un réseau dense de relations interpersonnelles, que nous pourrons dire que nous sommes ensemble vraiment.

Que nous faisons « communauté » et que nous pourrons donner véritablement vie à des principes qui sans amour fraternel resteront définitivement de simples mots.

Christian Chiza
Doctorant en didactique de l’Histoire UCLouvain
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